Les évènements désagréables créent des traces sensorielles dans notre cerveau, et ces séquelles sensorielles engendrent nos difficultés émotionnelles. La méthode Tipi participe à effacer ces engrammes générateurs des peurs et d’instabilité émotionnelle.
Dès le début de mes recherches, j’ai considéré les peurs comme un élément majeur de l’origine des souffrances émotionnelles.
Concrètement, je me suis attaché à observerlessensations que les peurs produisent dans notre corps.Nosressentis physiques ont l’avantage d’être factuels et facilement identifiables par tout le monde. Une personne qui a la phobie des serpents peut, sans difficulté, lorsqu’elle voit un serpent dans un film, décrire ce qu’elle ressent physiquement à cet instant : elle rapportera souvent une incapacité presque totale à respirer et la sensation d’avoir les jambes immobilisées comme si elles étaient ligotées.
Mais quelle estla relation entre l’objet de la peur et le ressenti ?
Une personne qui a peur à proximité d’un feu, si elle “écoute” ce qui se passe dans son corps, sera surprise, par exemple, de ressentir une douleur vive à l’épaule et au bras, comme si quelqu’un la déséquilibrait en la tirant violemment en arrière. Ce ressenti amènera éventuellement la personne à identifier une situation danslaquelle le feu n’est en rien responsable de sa peur : alors qu’elle était bébé, un adulte l’a empoignée avec force pourlui éviter de se brûler.Depuis, ce qu’elle craint(dans son corps) en s’approchant d’un feu n’est donc pas de se brûler mais d’être violemment agressée et déséquilibrée. Bien sûr, ce n’est qu’un exemple, mais il illustre bien comment se marque la peur dans notre corpslors d’un événement désagréable : le ressenti physique est mémorisé tel quel, prêt à ressurgir.
Cependant, nous sommes tous dotés d’une fonction autonome de régulation de ce type de traumatismes physiques qui se traduisent ensuite, au gré des situations, par une réaction émotionnelle. Plus ou moinsrapidement, la plupart destraces sensorielleslaissées par cestraumatismes vont naturellement se résorber, s’estomper. Qu’il s’agisse d’un grave accident automobile ou d’une rupture affective douloureuse, même si les jours ou les moissuivantssont difficiles, le traumatisme se ré- sorbe petit à petit, et, alors que nous pensions cela impossible, un jour, nous reconduisons avec insouciance et nous aimons avec bonheur une autre personne.
Malheureusement, parfois, cette régulation ne se fait pas. Le mécanisme est bloqué. Pire, le plus souvent, cela empire ! Ce sont ces traces sensorielles qui semblent concernerla majorité de nos difficultés émotionnelles récurrentes.
D’où viennent ces blocages émotionnels qui résistent à notre capacité de régulation ? Bruce McEwen , éminent chercheur sur la biologie du stress, a mis en évidence qu’une peur brève maisintense entraîne une dégradation desrécepteurs neuronaux, quisont des acteurs majeurs dansla formation de la mé- moire consciente. Les dégradationssontirréversiblessi la peur se prolonge.Dans ce cas, le souvenir conscient à l’origine de la peur devient inaccessible. Lorsque la peur se manifeste, il ne subsiste alors aucune piste pour en retrouver consciemment le point de départ. La manifestation sensorielle de la peurreste donc, de fait, la seule trace (le seul langage) qui puisse permettre de se reconnecter à l’événement d’origine et de réactiver sa régulation.
Mais quelles sortes de peurs se manifestent avec une intensité telle qu’elles dépassent notre capacité à réguler nos émotions ?
La peur est généralement définie comme une réaction émotionnelle ressentie en présence ou dans la perspective d’un danger réel ou supposé.
Le terme “danger” doit être entendu au sens le plus fort du terme, à savoir comme une confrontation avec la mort. Cette confrontation peut être directe (mort physique) ou indirecte (pertes matérielles ou relationnelles qui peuvent diminuer les chances de survie).
Dans ma démarche, cette notion de confrontation avec la mort s’estrévélée déterminante. Les personnes en situation de peur ou, plus généralement, de souffrance émotionnelle décrivent des ressentis physiques et surtout l’évolution de ces ressentis comme une Leurs descriptions sensorielles sont souvent explicites : ils revivent une perte de conscience plus ou moins sévère.
Ces pertes de conscience ont pour principale origine un manque d’oxygène mais peuvent également faire suite à une souffrance physique trop intense, un dysfonctionnement cardiaque, une déshydratation, une intoxication ou encore un apport nutritionnel insuffisant. Dans tous les cas, il semble bien que ce soit au stade de cette survie la plus élémentaire que se nouent les peurs qui engendrent les souffrances émotionnellesles plustenaces.
Par ailleurs, au cours desintrospectionssensorielles, la plupart desrécits évoquent des événements manifestement vécus en période prénatale ou à la naissance, ce qui accrédite fortement la probabilité d’un revécu de perte de conscience. En effet, la vie fœtale et la naissance sont propices à de nombreuses pertes de conscience. L’étirement du cordon ombilicalsuite à un emmêlement ou à un nœud estresponsable de la majorité des situations d’asphyxie pendant la naissance mais également dèsles premiers mois de la gestation. La présence de jumeaux non viables au cours des trois premiers mois de grossesse, bien qu’encore mal documentée, génère également de nombreux événements susceptibles de provoquer des souffrances physiques insurmontables et d’entraîner une perte de conscience.
D’un point de vue thérapeutique, ces épisodes de confrontation à la mort, lorsqu’ilssontidentifiés comme étant à l’origine d’un traumatisme, sont généralement considérés sous un angle psychologique, ce qui entraîne une perception essentiellement relationnelle de l’événement. Par exemple, si un fœtus a cohabité avec un jumeau qui n’a pas survécu, le traumatisme,s’il estidentifié,sera essentiellement analysé sous un angle émotionnel (sentiment de détresse, de solitude ou d’abandon, rapportsfusionnels avec l’entourage, incapacité à vivre desrelations durables ou, au contraire, à assumerlesruptures, etc.). Le même événement abordé au travers des manifestations physiques de la peur conduira certainement au revécu d’une perte de connaissance provoquée par le phénomène d’aspiration particulièrement intense qui accompagne l’évacuation d’un jumeau. D’un point de vue physique, la disparition du jumeau apparaît comme un événement violent mettant en jeu la survie physique de celui quireste.D’un point de vue psychologique, cette disparition estsurtout considérée comme un manque affectif difficile à surmonter.
En fait, il paraît probable que ce soit le ressenti physique éprouvé lors d’un traumatisme physique particulièrement intense qui crée un contexte propice à des répercussions psychologiques indésirables.
Bien sûr, après la naissance et tout au long de la vie, la qualité de l’environnement psychologique et d’éventuels événements marquants viennent certainement renforcer, densifier, élargir ou spécialiserle traumatisme physique initial. Par exemple, une personne qui, à l’état de fœtus, a été physiquement mise en danger parl’évacuation d’un jumeau non viable deviendra encore plus sensible à toute séparation si, notamment dans son enfance, elle est confrontée à d’autres ruptures violentes. Ce mécanisme est parfaitement décrit par le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux . La peur, par une activation neuronale spécifique, forme dans notre cerveau la trace sensorielle de l’événement désagréable : le ressenti physique éprouvé est mémorisé etse manifeste parla suite à l’identique, chaque fois en se renforçant, dans toutes les situations perçues, souvent inconsciemment, comme similaires. Selon Joseph Ledoux , un autre neurobiologiste reconnu, cette manifestation correspond à un signal répulsif qui, par prévention, est chargé de nous mettre en alerte d’un danger potentiel.
À noter que les peurs issues d’une même“racine”ont également en commun le même signal répulsif. Concrètement, lorsque noussommes confrontés à différentessituations désagréables, si notre ressenti physique est chaque fois identique, cela signifie que nos réactions émotionnelles sont issues d’un même traumatisme physique ; à l’inverse, si nos ressentis physiques sont différents, leurs origines sont diffé- rentes.
Une meilleure compréhension etla validation de tous ces mé- canismesrestent bien sûr à venir et je me tiens à la disposition de tout chercheur qui souhaite en poursuivre l’exploration. Cette nouvelle voie n’en est manifestement qu’à ses débuts et offre des perspectives originales dans la compréhension de nos peurs et, plus largement, de notre fonctionnement émotionnel, ainsi que des résultats thérapeutiques particulièrement prometteurs.
En résumé, la manifestation sensorielle présente dans notre corps dans une situation désagréable semble être une porte d’accès simple et fiable vers nos peurs pouvant nous permettre, de façon naturelle, de réguler les dysfonctionnements émotionnels qu’elles produisent.